Ibeth Bocangel Janvier, 2025 5 min
Le chemin de l’Inca, ce réseau époustouflant également connu sous le nom de Qhapaq Ñan, s’étend sur plus de 30 000 kilomètres et traverse pas moins de six pays andins : la Colombie, l’Équateur, le Pérou, la Bolivie, l’Argentine et le Chili. Bien plus qu’un simple itinéraire de randonnée, le Qhapaq Ñan représente un patrimoine historique, culturel et humain exceptionnel. Pourtant, de nombreux tronçons de ces routes millénaires sont peu à peu abandonnés, détruits ou engloutis par des infrastructures modernes. En tant qu’expert du chemin de l’Inca au Pérou, je vous invite ici à découvrir toute l’ampleur de ce chef-d’œuvre en péril, son histoire, ainsi que les moyens d’en parcourir les différentes sections.
Le Qhapaq Ñan (littéralement « Chemin Royal » en quechua) forme l’épine dorsale de l’empire inca, reliant Pasto, en Colombie, à Santiago du Chili. Au fil de ses 30 000 kilomètres, le chemin de l’Inca traverse une grande variété de paysages : déserts côtiers, hautes cordillères andines et forêts tropicales. Cette diversité géographique fait la richesse du réseau et offre des panoramas grandioses à ceux qui s’y aventurent.
Au Pérou, ancienne terre centrale des Incas, on dénombre de multiples tronçons emblématiques, notamment dans la région de Cusco et dans la cordillère de Vilcabamba. Outre ces zones mondialement connues, le Qhapaq Ñan sillonne également des territoires plus reculés (Huamachuco, Jauja, Chachapoyas, etc.), où se mêlent encore vie traditionnelle andine et vestiges précolombiens.
Bien que l’on qualifie ces chemins d’« incas », ils sont pour la plupart issus d’anciennes routes préincas, que les Incas ont su améliorer et intégrer dans un réseau structuré unique. Certaines fouilles, comme la découverte d’une tombe de l’époque wari à Espíritu Pampa (2011), confirment que ces voies existaient déjà bien avant la civilisation inca.
Aujourd’hui, nombre de ces tronçons sont en voie de disparition. Ponts détruits, marécages, installations minières ou encore nouvelles routes d’asphalte supplantent peu à peu le chemin de l’Inca originel. Pourtant, ce sont souvent ces mêmes voies qui assurent l’accès à des zones rurales et isolées, permettant à des communautés de commercer ou de se déplacer.
C’est précisément au moment où ils s’effacent que ces chemins connaissent une nouvelle notoriété. Jamais on n’a autant parlé des routes incas et de leur potentiel touristique ou patrimonial. Malgré tout, le Qhapaq Ñan reste inhospitalier pour beaucoup de voyageurs : absence d’infrastructures, accès difficile, isolement géographique… Seuls quelques tronçons bénéficient d’aménagements touristiques, notamment autour de la cordillère de Vilcabamba (Cusco).
Au-delà de leur intérêt historique ou touristique, ces chemins sont encore fréquentés par des agriculteurs, des caravanes muletières (arrieros, llameros) et d’autres acteurs locaux. Pour eux, la dégradation du chemin de l’Inca signifie bien plus qu’une simple perte patrimoniale : elle affecte directement leur quotidien et leur capacité à circuler ou à commercer. La mondialisation, les mines, les concessions ou l’expansion de la route automobile modifient les modes de vie ancestraux, créant un fossé entre ceux qui promeuvent la valorisation touristique des chemins et ceux qui y vivent.
Au XIXe et au XXe siècle, des explorateurs et cartographes comme Antonio Raimondi, l’Italien méticuleux, ou l’Américain Ephraim George Squier ont sillonné ces terres, laissant des témoignages précieux du chemin de l’Inca. Leurs récits et gravures conservent la mémoire de ces grands axes andins, bien avant l’arrivée des routes modernes.
Jusqu’il y a encore quelques décennies, il n’était pas rare de croiser des caravaniers reliant des villes aussi distantes que La Paz (Bolivie) et Ayacucho (Pérou), ou effectuant de longs périples pour assister à des fêtes religieuses. Ces déplacements de plusieurs semaines, voire plusieurs mois, perpétuaient l’art du troc ou du transport à dos de bête, et contribuaient à la diffusion de musiques et de traditions au fil des étapes.
Parmi les vestiges émouvants de ce passé, les retables en bois vendus aujourd’hui sur les marchés touristiques sont la version moderne de la caja de San Marcos. Autrefois, ces petits autels portatifs accompagnaient les muletiers pour prier et honorer les saints au fil des escales. Sans ces itinéraires, ces objets n’auraient probablement jamais existé.
S’aventurer sur ces anciennes routes, c’est souvent découvrir à quel point elles se fondent dans le paysage contemporain. À Huamachuco, au nord du Pérou, on ne sait plus très bien si l’on chemine encore sur la route inca ou sur un chemin rural. Au bout du compte, c’est une piste, puis une rue, qui nous mène à la Plaza de Armas et son église coloniale. En repartant, on retombe finalement sur le chemin de l’Inca, par un étonnant jeu de piste, alors qu’on se dirige vers les contrées enneigées de la cordillère Blanche.
Le chemin de l’Inca central traverse le Pérou du nord au sud sur l’axe Huamachuco–Jauja–Cusco–Desaguadero. Le long de cet itinéraire, on découvre des tronçons splendides comme les escalerillas, la pampa de Junín ou l’Inka Naani. Les villages traversés abritent encore des églises rurales chargées de fresques, de petites exploitations agricoles et parfois des mines informelles.
D’autres voies relient le Qhapaq Ñan à des régions plus isolées :
Chachapoyas : depuis le tambo de Taparako, un chemin inca bifurque vers le nord-est pour contourner le fleuve Marañon et contrôler cette enclave entre Andes et Amazonie. On y trouve des cols de haute montagne quasiment désertés, menant en une dizaine de jours à la forteresse de Kuelap.
Le canyon de Cotahuasi : non loin de Chuquibamba, où muletiers et caravaniers transportaient encore récemment alcool, sel et musique afro-péruvienne.
Les chemins côtiers : de Jauja à Pachacamac (Lima), de Cusco à Puerto Inca, ou du lac Titicaca vers Tacna et Moquegua. Généralement délaissés, ces chemins transversaux recèlent pourtant de richesses historiques et naturelles.
Les sentiers vers l’Amazonie : qui s’enfoncent dans la jungle haute, depuis Concepción vers San Ramón ou Satipo, depuis Chachapoyas vers la région de San Martín, ou encore depuis Lacco, Espíritu Pampa ou Megantoni (territoires ashaninkas et matsiguengas).
Le Qhapaq Ñan, soutenu par l’Unesco et les États sud-américains, se veut un nouvel emblème de la culture andine et un levier touristique. Pourtant, il demeure un écart important entre cette volonté de sauvegarde internationale et la réalité des populations locales, parfois sceptiques ou désintéressées. Les concessions minières font aussi planer la menace sur les segments classés au patrimoine mondial. La protection des droits des paysans, ainsi que la réhabilitation même du chemin de l’Inca, sont au cœur de ces enjeux.
Parcourir le chemin de l’Inca, c’est plonger dans une aventure hors du commun. Pour les randonneurs prêts à sortir des sentiers battus, il n’existe pas de meilleur moyen de découvrir la diversité andine : glaciers, hauts plateaux, forêts de nuages, cultures vivrières, sites archéologiques… Le Qhapaq Ñan offre un véritable parcours initiatique, à la rencontre d’une histoire vivante.
Vols directs : Air France propose des liaisons sans escale vers Lima.
Vols avec escale : KLM, Iberia et LAN (LATAM) ont des offres intéressantes.
Vols pas chers :
Plus Ultra propose des vols à tarifs attractifs vers Lima depuis l’Europe.
D’autres compagnies comme Air Europa ou Plus Ultra (voir lien ci-dessus) peuvent être moins chères, mais aux horaires parfois aléatoires.
Prix : Compter entre 800 et 1 100 € en haute saison pour un aller-retour Europe–Lima.
En avion : Depuis Lima, privilégiez LATAM, Star Peru ou LC Peru. Une compagnie low-cost, Viva Air, propose parfois des tarifs autour de 20 €.
En bus : 22 heures de trajet depuis Lima (40 à 60 €). Les compagnies Excluciva, Cruz del Sur et Oltursa sont des valeurs sûres.
Se déplacer autour de Cusco : Les colectivos (taxis collectifs) sont pratiques pour rejoindre la Vallée sacrée ou les points de départ des treks.
Chemin de l’Inca classique : 4 jours
Trek de Yanatile : 4 jours
Traversée de Vilcabamba : 6 jours (jusqu’à Vitcos) ou 10 jours (en poursuivant jusqu’à Espíritu Pampa)
Au nord du Pérou :
Escalerillas de Huamachuco : 2 jours
Inka Naani : 8 jours
Pampa de Junín : 4 jours
Ces tronçons peuvent s’assembler pour réaliser la portion Huamachuco–Jauja en intégralité (environ 32 jours), prolongeable jusqu’à Pachacamac (12 jours supplémentaires).
En trek : Bivouac quasi obligatoire. Les camps se situent entre 2 500 m (Santa Rosa) et 4 200 m (Choquetacarpo) d’altitude.
Chez l’habitant : À Yanama et Marampata, il est possible de planter la tente dans les jardins des paysans ou éleveurs locaux.
Petits hébergements : À Huancacalle et Cachora, on trouve des hostals sommaires. Sur place, il est possible de se ravitailler (pâtes, thon, etc.).
En quechua, Qhapaq Ñan signifie « chemin royal ». C’est le nom donné à la colonne vertébrale du réseau inca (environ 6 000 km), qui reliait la Colombie au Chili en passant par l’Équateur, le Pérou, la Bolivie et l’Argentine. Par extension, on l’utilise pour désigner l’ensemble du réseau de routes incas, fort d’environ 30 000 km.
Les Incas ont largement réutilisé des routes préincas, en témoignent diverses découvertes archéologiques (tombe wari à Espíritu Pampa). Toutefois, c’est bien la civilisation inca qui a su les intégrer à un vaste ensemble cohérent et sans précédent.
Dans de nombreuses zones andines, les populations ont continué à emprunter ces itinéraires jusqu’au milieu du XXe siècle. Certaines parties sont toujours utilisées localement, tandis que d’autres sont délaissées ou oubliées. Le tourisme d’aventure pourrait jouer un rôle clé dans leur préservation et leur réhabilitation.
Le chemin de l’Inca est bien plus qu’un simple sentier historique. En parcourant le Qhapaq Ñan, le marcheur touche du doigt la grandeur d’une civilisation, rencontre des communautés porteuses de traditions séculaires et découvre des paysages d’une beauté saisissante. Chaque pas, chaque col franchi, est un voyage dans le temps et un hommage à l’incroyable ingéniosité des peuples andins. Mais c’est aussi un défi : la sauvegarde de ce patrimoine menacé ne peut réussir sans une prise de conscience collective, à la fois pour soutenir les communautés qui l’habitent et pour favoriser un tourisme responsable.
Alors, si vous rêvez d’aventure, d’altitude et d’histoire, osez poser vos pas sur ces antiques pavés. Le chemin de l’Inca n’a pas fini de livrer ses secrets et son exploration ne fait que commencer. C’est peut-être là que réside la magie des Andes : offrir à chaque voyageur la liberté de marcher sur les traces d’un passé grandiose, dans un présent en constante évolution.